Les couleurs de la ville

Rouge glamour, les ongles de celle qui écoute distraitement l’homme qui l’accompagne. Elle vient d’enlever sa main de l’emprise de lui pour vérifier la tenue du vernis. Il lui parlait d’amour, je crois.
Mains abandonnées dans les poches d’un manteau bleu, jambes perdues dans des bottes noires, une femme passe.
Rouge acrylique, l’écharpe très enroulée de celle qui traverse lentement la place. Dans ses mains, un seul bagage. Dans ses pas, un seul parcours. Devant la boite jaune, elle hésite encore, avant d’y glisser une enveloppe blanche. Avant de repartir, elle croisera l’une sur l’autre ses mains orphelines. Son coude cognera en silence le sac Tati alourdissant l’épaule d’une jeune femme à la peau très noire, cherchant sa route dans un survêt’ siglé qui a du être un jour blanc et brillant.
Rouge gourmande, la pomme que croque une fille. Cela fait sourire sa bouche. Je l’appellerai Eve. Rouge orangeade, le pull amplement élégant sur cet homme jeune à l’allure décidée. Dans un sac transparent, il transporte deux citrons jaunes: éclairs de vie.
Noir, immense, le sac à l’épaule d’une passante, là-bas.
Jaune satinée, la ganse sur les habits marines des agents de police municipaux. Même costume et pas uniforme, comme le début d’un défilé. Personne ne les arrêtera. Ils seront dépassés par les escarpins dorés, très talonnés de cette cinquantenaire au parfum bruyant, poudrée jusqu’à la pointe des oreilles.
Devant moi, rouge vif, boutonné jusqu’à la capuche, le manteau d’une petite fille, la main dans la main d’un vieil homme.
Marron râpé, le manteau sur le dos de cette femme grisonnante, au panier d’osier usé. Automate en marche vers le marché. Marron glacé, le pantalon en cuir de celle qui, à grandes enjambées, suit sa carrière. Dans sa main, un trousseau de clés prêt à foncer toutes les portes.
Noir, immense et plat, le sac à l’épaule de la passante. Chaussée de pantoufles, elle chemine lentement.
Main nue dans gant multicolore, le vieil homme et la petite fille guident chacun les pas de l’autre. Premiers pas d’elle: équilibre en péril. Avant-derniers pas de lui: ralentis par ce genou qui…, cette hanche qui….,
Bleu dur le manteau, vernies noires les bottes de celle qui revient de nulle part.
Vert électrique, le paletot sur le poil blanc d’un chien minuscule dans les bras d’un homme absent. Violet ecclésiastique, le pull sur le dos d’un homme à l’allure discrète. Mésentente entre eux, visible. Il accélère son pas pour se faire oublier.
Gris soupir, le manteau de celle qui n’a plus qu’elle pour l’écouter parler. Elle fait deux, trois pas, puis s’arrête, pour se dire quelques mots, quelques maux. A t’elle senti le frôlement rouge comme les fruits d’été, violet comme les fleurs, du châle drapé autour d’une élégante en habit noir ?
Noires étanches, les lunettes de ces amoureux qui s’arrêtent le temps d’un baiser. Lèvres qui se touchent, bouches qui se goûtent. Je devine leurs regards sur le bout de leurs langues.
Main nue dans gant multicolore, ils sont dans un même temps. Il a quitté celui où on ne l’a jamais, elle n’y est pas encore venue. Il avance au pas d’elle, s’arrête à ses curiosités.
Rougies de frais les lèvres de ces ménagères, au milieu de la place, qui s’embrassent en vitesse, se gesticulent quelques propos, vérifient d’un regard de la main la tenue de leur brushing, puis, d’un même geste, regardent leur montre pour se dire au revoir. Un pas plus loin, gris anthracite, de bonne coupe, le costume de celui qui attend, portable en main, un autre porteur de portable vêtu d’un costume de bonne coupe, gris anthracite.
Noir, plat et vide, le sac en coton à l’épaule de la passante en pantoufles. Si courbé son corps qu’il décrit presque un angle droit.
Vert carton, minuscule, le dossier à élastiques sous un bras interminable. Orange papier, majuscule, l’enveloppe de radiographies au bout d’un bras. Croisements d’inquiétudes.
Mandarine, anis, les manteaux matelassés des fillettes qui gambadent autour de leur maman, brune au manteau couleur de prune.
Mains serrées dans les poches de son manteau bleu dur, jambes perdues dans des bottes noires vernies, la femme repart perdre ses pas.
Rayé bleu et noir, sweat façon rugby, sur le dos d’un jeune homme que son amoureuse traîne devant les vitrines du bijoutier. Rayé noir et blanc, gilet façon polaire, sur un homme rasé à l’allure blasée. Rayures tourmentées.
A carreaux jaune et bleu, le pantalon du petit frère qui précède son aîné, en riant, en courant. Leurs bouches sont colorés des bonbons gélatineux qu’ils dévorent. Jaune pour l’un, bleu pour l’autre, les colliers de ces chiens identiques qui promènent un homme encore plus triste qu’eux.
Immense et vide, le sac noir à l’épaule de la passante en pantoufles au corps à angle droit. Si menu son corps, que j’imagine, que le soir, ce sac est sa maison.
Bleues les vitres des lunettes sur les fronts de ces trois adolescents à peine duveteux. Ils viennent de s’installer en terrasse pour jouer aux mecs. «3 cafés s’il vous plaît», dit l’un tout en décachetant un paquet de Marlboro.
Mains abandonnées dans les poches d’un manteau bleu, jambes perdues dans des bottes noires, la femme continue son errance...


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