Fêlure

Relief d’un caillou sur le goudron lisse. Butoir inattendu d’une allure uniforme. Son sourd. écho aigu, chute d’un téléphone mobile. Sur le sol, il n’est plus qu’un objet noir désarticulé, fixé par le regard hébété, le corps ballant, de celui qui vient d’en être dépouillé.

A deux mètres derrière, épaules alourdis par des sacs, Jean Paul voit Xavier, immobile, désarmé, regard au sol, pense un «Putain, qu’est ce qu’il branle», reste silencieux, concentré. Il avance, arrive à ses côtés, lui lance un regard accusateur, ouvre sa bouche pour un «Tu vas te bouger, merde!» mais reste muet, distancé.

Xavier va jusqu’à l’outil devenu débris, le rassemble du bout des doigts, le cache dans sa poche et reprend sa place devant Jean Paul. En passant près de lui, il bredouille un «Putain de caillou! ».  

De nouveau, entre eux, les deux mètres réglementaires. A quelques enjambées, le fourgon. Marc, au volant, les attend. Leur marche est silencieuse, lourde. Sentiment d’être étranger l’un à l’autre, séparés par un fossé où sont enterrées toutes les paroles passerelles.

Pourtant là, dans la salle des coffres, sur la route tout à l’heure, encore hier soir après la muscu,… et l’autre dimanche, voisins de tribune, et au dernier stage de tir , et…
Pourtant, depuis cinq ans, leurs avis étaient amis, liés de bons mots communs, de commentaires mateurs.

Et là, pour un « Putain de caillou», les mots entre eux ont disparu. Tous.

Le chef de corps dépose l’argent. Le garde surveille les alentours. Le chauffeur a sa main sur le levier de vitesse.

Retour à l'accueil